vendredi 26 février 2010

Un nouveau départ

Merci de m'avoir suivi et de lire mon blog pour ceux qui le découvrent! L'expérience a été très dense malgré un temps relativement court. Je suis heureux d'avoir pu la partager, je me sens maintenant plus léger et enrichit par la combinaison de l'expérience d'une part et l'échange qui l'a suivit pendant ces derniers mois.

A l'année prochaine pour pierreaokinawa.blogspot.com/ ! ^^

P.S.: Je suis sur Paris pour un an encore, n'hésitez pas à me contacter!

jeudi 25 février 2010

Présentation de mon voyage





Ce qui suit est le discours que j'ai prononcé le Jeudi 25 Février 2010, à 21h20 au bar-restaurant "Aventure Exclusive" (127, rue Championnet, Paris XVIIIème), à l'occasion du vernissage de mon exposition de photographies "Inde du Nord".
Une présentation en deux points, où je dirais d’abord les prénotions que j’avais sur l’Inde avant de partir, que je confronterais ensuite à la réalité Indienne. Mais avant, je vais expliquer brièvement le pourquoi de ce voyage : on me demande souvent pourquoi je suis parti pendant trois mois, et surtout pourquoi en Inde. Je réponds souvent que c’est la culture indienne qui m’attirait, les films, la cuisine, la langue. Et c’est vrai bien sûr, ce sont des choses que j’apprécie. Mais plus sincèrement, j’ai choisi l’Inde… parce que c’était suffisamment loin ! Un simple besoin de prendre l’air à « l’autre bout du monde ». M’aventurer dans un monde le plus éloigné de ma réalité européenne. Me déporter vers l’Est, loin de l’Occident.




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L’Inde telle que je l’imaginais était un pays de pauvreté, avec une majeure partie de la population vivant sous le seuil de pauvreté et dans la misère. Des gens qui échappent à leur dure réalité en visionnant les derniers films de Bollywood, qui offrent un mélange étourdissant le plus déconnecté de la réalité que possible. Bollywood, Une longue dose de rêve (trois heures en moyenne), avec tellement de rebondissements et une telle variété d'humeurs dans un même film que les spectateurs échappent complètement à leur vie quotidienne par le divertissement. Ces films, que je regardais déjà beaucoup avant mon voyage, dépeignent une Inde aux paysages grandioses, campagnes luxuriantes, rizières et champs de millet d’un vert éclatant, que j’avais hâte de retrouver. Les villes seraient, elles, surpeuplées, à la grande diversité de population aux croyances et religions variées, des groupes chantant « Haré Krishna » dans la rue, tambours et clochettes. Une vision du temps cyclique, aussi, où dans chaque destruction repose l’espoir d’un nouveau départ, et donc l’acceptation totale de la mort, contrairement à notre vision du temps en flèche montante (la "montée" serait la tendance à la quête d'ascension sociale) qui favorise la peur de la mort. L’Inde, ce serait aussi un air envoutant aux senteurs d’épices, de cardamone, une spiritualité qui me traverserait et de savoureux currys.




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Concernant Bollywood, et je commence par là car c’est un des premiers domaines dont je parle quand il s’agit de justifier mon attrait pour l’Inde. La théorie de l’échappatoire (escapism) ne m'a pas semblé trop éloignée des faits. Après tout, c'est une théorie que j'avais moi-même pensée et la confirmer a surement été ma première urgence, mais après observations, je peux maintenant dépasser cette théorie et la nuancer de deux manières. Premièrement, j’observe que les gens reprennent, dans la vie, de nombreux "comportements bolywoodiens", dans leur manières de s’habiller, de draguer, de chanter. Sur ce point, l’Inde chante, c’est clair. Un week-end sur l’île de Diu avec sept amis rajashtani a suffit pour me le faire comprendre. Dilip Singh et les autres chantaient les chansons des films indiens, classiques et contemporains, tout le long du week-end. Leur jeu préféré dans les transports en commun (train, car, moto rickshaw) était de chanter à tour de rôle, en reprenant la dernière syllabe de la chanson précédente pour en commencer une nouvelle. Venait mon tour, je tentais les quelques chansons en Hindi que je connais, ou me raccrocher à de vieux "tubes" français. Là, je pense précisément au trajet matinal en train pour se rendre à Diu, trajet qui dure une huitaine d’heures. Le flot interrompu seulement par des rires débordait d’émotions (vie onirique). Et on voit bien ici que des personnes réelles, que l'on pourrait appeler des spectateurs, peuvent se faire acteurs / chanteurs, film et réalité se confondant. Avec les paysages défilant à travers la fenêtre du train, comme projetés, alors que se déroulerait la bobine d’un film. Dans l’autre sens, nombreux sujets d’actualités sont repris au cinéma (conflit indo-pakistanais, problèmes liés aux castes, terrorisme), comme avec A Wednesday (visionné avec Rimjhim et son mari à Kolkata, Septembre), New York (sur le 11 Septembre 2001, vu avec Juliette et Aditi à Delhi, Juillet) ou le téléfilm Un Hazaro ke Naam, qui traite des attaques de Mumbai en Novembre 2008, et dans lequel j’ai joué en tant que figurant (Mumbai, Juillet).
Ensuite, les paysages grandioses ne sont pas forcément où on les attend. Les campagnes, au Bengale Occidentale notamment (Bishnupur) étaient magnifique, avec leur temples ocre de terra cotta en ruines perdus au milieu d’une végétation d’un vert irréel. Mais J’ai surtout eu le coup de cœur pour la région montagneuse du Sikkim Occidental. Où la biodiversité est préservée au sein d’un immense parc national (le Kangchendzonga National Park). Les collines de jungle luxuriantes, les paisibles villages nichés entre les montagnes (Le village de Yuksum). Les montagnes, ainsi que certains lacs, incarnent des des divinités Bouddhistes, imposant d’autant plus d’admiration.

A l’inverse, les villes surpeuplées sont suffocantes au premier abord. Inimaginablement denses, irrespirables. C’est un choc qui demande quelques bons jours d’adaptation, avant de s’habituer et de pouvoir apprécier la vraie vitalité (le buzz) d’une ville comme Mumbai, l’envie de conquête de ses habitants. En effet, on y mène une vie trépidante et bien remplie. Le tout premier jour, j’arrive à trois heures du matin dans le centre de Mumbai (à Colaba) pour trouver la porte de mon hôtel fermée (au téléphone, de France, on m’avait dit qu’il suffirait de frapper avec insistance pour qu’on m’ouvre, mais rien n’y fît). Et les gens, qui sont partout, dormant dans les positions les plus extravagantes en tous endroits, se réveillent sur mon passage pour me trouver un hôtel. On réveille les réceptionnistes endormis par terre devant le comptoir, sur des tapis, et on devra en enjamber d’autres dans le couloir étriqué qui mène aux chambres. Première expérience assez ahurissante du team work à l’indienne. Ils seront plusieurs à me souhaiter « good night, sir » en souriant. Partout dans la ville, des gens à toute heure, à Mumbai ou à Kolkata. Autre expérience de la surpopulation, deux mois plus tard, en rentrant d’une soirée à Kolkata (pour la Kolkata fashion week) à cinq heures, j’apprécie le lever du soleil sur Esplanade, la grande place proche de mon hôtel (sur Sudder street) avec un touriste Anglais (Joe) et une amie indienne (Shreya). La place est remplie de monde qui y ont élu domicile, certains se réveillent et se lavent à la pompe à eau, d’autres encore assoupis nous offrent le spectacle de leur parties intimes dépassant maladroitement de leur pagne. Cette surpopulation, cette abondance humaine, est malheureusement source d’une grande pollution dans les villes d’Inde du Nord, problème qui semble peu adressé par le gouvernement.

Parlons un peu des gens : on a vu que mon premier accueil a été bon, et ils le seront tous ! Tout le monde aura été vraiment accueillant avec moi, très généreux, invitants, gentils en général. Mais je n’ai pas eu le même sentiment de sincérité partout, l’accueil d’un touriste me parait notamment très différent au Rajasthan ou au Sikkim. Dans la première région, à Jaisalmer, il était clair que tout le monde avait quelque chose à vendre, et une sorte d’amalgame était fait entre touriste et client potentiel. On ne me donnait pas tout le temps l’impression d’être un porte-monnaie sur pattes, bien sûr, car j’étais quand même fréquemment invité à diner chez une famille de rajput (la caste des "guerriers"). Là, je dinais et prenait le thé avec le maitre de maison, Kishan Singh (le père de Dilip Singh) qui m’a également invité à festoyer avec ses amis. Encore qu’ils me faisaient dormir dans l’hôtel d’un ami à eux, et me proposait de partir en camel safari avec un de ses copains. Je ne fais aucune critique ici, je remarque simplement que le tourisme semblait fournir là-bas une grande partie des revenus. En revanche, j’ai ressenti au Sikkim une vraie communication entre touristes et locaux, et un vrai intérêt en l’autre. On y fait une économie du tourisme, comme partout ailleurs, mais tournée vers l’échange, comme avec l’organisation de home stays (par le Khangdchendzonga Conservation Commitee), un programme d’immersion du touriste dans la culture locale en le faisant héberger chez les locaux.

Pour finir, j’aimerais évoquer un peu la religion, ou plutôt la religiosité de la vie indienne. Tout était très marqué par la religion, dans une société où les pratiques sont extrêmement importantes (et nombreuses), et un grand soin est apporté à bien faire ces pratiques. Toute prière et rite sont très soigneusement effectués. Dans beaucoup de logements hindous, on consacre un endroit, voire une pièce entière si possible, à la divinité. En bref, le religieux est partout à voir et semble occuper un temps important. [note : sur la religion hindouiste, un commentaire intéressant a été rajouté à mon article "Hindouism" sur la version anglaise de mon blog, à lire ici : http://pierreinindia.blogspot.com/2009/09/hinduism.html]




Tout ça pour dire deux choses :
(Et c’est une phrase toute faite de sociologue) La réalité est toujours plus complexe. Que ce à quoi on s’attend, que ce à quoi on pense être préparé. C’est ce qui peut justifier, évidemment, la vocation sociologique ou anthropologique.
Deuxièmement, il ne faut jamais s’en tenir à nos préjugés. Ne pas les ignorer non plus. Ou essayer de ne pas en avoir, mais observer la réalité puis revenir à nos préjugés pour voir où on s’est trompé. Et se demander pourquoi ces préjugés nous sont parvenus. Par exemple, la croyance du temps cyclique serait une exportation des castes supérieures (les brahmanes) pour perdurer l’image d’une Inde immuable, imperméable à toute action venue de l’extérieur. Vision embrassée par les orientalistes du XIXème siècle, qui ont participé à enfermer l'Inde dans cet écrin. Pourtant, autant qu'on m'affirme que l'orientalisme est loin derrière, dépassé, et que les gens ont ouvert les yeux sur la réalité (l'historicité notamment) de l'Inde, j'entends toujours de nombreux propos à tendance très exotisante sur ce pays. ("Et alors, tu a ressenti des trucs spirituels en visitant Varanasi?") Des propos qui, me semble-t-il, montrent que l'orientalisme a de beaux restes dans la croyance commune, souvent chez des gens qui n'ont pas été en Inde, mais pas seulement. Comme quoi on peut non seulement avoir de fort à-prioris sur un pays, une culture, mais les perpétuer même en allant dans ce pays, en "cherchant" à voir ce à quoi on s'attendait déjà. En partant en quête du déjà-connu, en s'appropriant l'étrange qu'on savait qu'on allait voir avec pour seul but d'en faire une "expérience personnelle". Cette appropriation, cette confirmation des clichés serait comme faire développer sur place les négatifs qu'on a ramenés dans ses valises, braquer son appareil photo ou caméscope, en somme son œil, sur ce à quoi les autres nous avaient préparés.

Pour conclure, je dirais qu'en voyageant, il faut remettre en question tout ce à quoi nos préjugés nous avaient préparés. Les confronter à la réalité, et surtout embrasser la réalité globale en s’ouvrant à la culture étrangère. Ce qu’on a à apprendre de nos voyages ne se limite pas à une suite de préjugé confirmés ou corrompus, mais, à chacun d'entre eux, à un ensemble nouveau, un tout nouvel univers.